De l’Europe à l’Asie, en passant par le Mexique, les États-Unis et l’Afrique, ce cycle composé d’une quarantaine de longs et courts métrages, propose un voyage dans l’univers de la fiction – drame, comédie, western, film d’épouvante ou animation – autant qu’une excursion dans le documentaire et le cinéma d’avant-garde et expérimental qui s’est tant nourri de l’esthétique du rail et de la roue. Entrées et sorties de tunnel avalant et recrachant la fumée qui s’échappe de la locomotive, fenêtre-cadre dévoilant un paysage en mouvement, lignes infinies de voies ferrées et impressionnantes machineries lancées à toute vitesse n’en finissent pas d’exalter l’imagination des cinéastes et de captiver le public.
L’expansion des réseaux de chemins de fer au début du XIXe siècle coïncide avec le développement de la photographie. Elle documente l’édification de ce moyen de transport qui ne symbolise pas seulement la révolution industrielle mais inaugure une nouvelle conception de l’espace et du temps dans laquelle le cinéma, qui naît quelques décennies plus tard, va s’inscrire. L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat impressionne tant le public que des centaines d’autres Arrivées en gare du monde entier surgissent sur les écrans, The Great Train Robbery et ses multiples imitations suscitent une fascination pour la violence des attaques de train qui sévissent alors dans l’ouest américain. Le photographe Andrew Joseph Russell qui a pris des clichés de la guerre de Sécession (Buster Keaton et Clyde Bruckman s’inspirent d’un événement de la guerre civile pour The General) a aussi immortalisé la construction du chemin de fer transcontinental, et de la célèbre jonction entre les deux lignes, dont John Ford relate le périple en 1924 dans The Iron Horse. En 1929, lorsque Victor Turin suit la construction de la ligne reliant la Sibérie au Turkestan dans son documentaire Turksib, il s’applique à représenter les répercussions sociales sur les populations locales. Dans ce cycle, deux programmes de films documentaires sur la construction de voies de chemins de fer en Afrique et en Indochine éclairent sur les conditions de travail particulièrement éprouvantes de ces ouvrages menés par les colons.
Les récits dramatiques s’imprègnent des multiples perspectives et climats qu'offre cet univers. The Signal Tower, tourné dans les forêts au nord de la Californie, décrit l’isolement d’un consciencieux aiguilleur et de sa famille en proie à un dangereux séducteur. Clarence Brown utilise la majesté des décors naturels et élève le suspense dans un montage puissant qui alterne prises de vues spectaculaires, accident de train et personnages pris au piège. Même situation initiale mais dénouement plus sourd pour Scherben de Lupu Pick. Ce Kammerspiel, drame intime, théâtral, joué en huit-clos, raconte comment l’arrivée d’un inspecteur va bouleverser existence monotone d’un garde-barrière et de sa famille. Le sublime Rotaie de Mario Camerini narre les égarements d’un jeune couple de prolétaires démunis qui se voit offrir une échappatoire par l’opportunité d’un voyage en train qui les propulse dans un autre monde. Ce film, qui aborde les bouleversements sociaux qui secouent alors l’Italie fasciste, suscitera un intérêt et une influence chez les réalisateurs néoréalistes. Ilya Trauberg, qui fut l’assistant-réalisateur de Sergueï Eisenstein pour Octobre,souligne dans Le Train mongol les inégalités entre classes sociales et la montée en puissance d’une révolte en Chine.
El Tren fantasma de Gabriel Garcia Moreno est un drame d’aventure mexicain, tourné dans les montagnes d’Orizaba, qui raconte les péripéties d’un ingénieur confronté à une bande de gangsters. Webs of Steel montre la téméraire Helen Webb porter secours aux plus faibles et rétablir la vérité au profit de l’homme qu’elle aime. Dans ce film, l’actrice Helen Holmes, passionnée de train, réalise elle-même les cascades. Der Geisterzug, réalisé par Géza von Bolváry, est un étonnant mélange de comédie et de film d’épouvante, alliant parfois une esthétique d’avant-garde et les techniques d’animation. Adaptation de la pièce de théâtre à succès d'Arnold Ridley, le film met en scène un groupe de passagers hétéroclites bloqués toute une nuit dans une gare abandonnée et terrifiés par les histoires de fantômes contées par le conducteur de train. Le génie, l’imagination et la fantaisie sont au rendez-vous lorsque Georges Méliès évoque Jules Verne pour un Voyage à travers l’impossible à bord de l’automabouloff intersidéral et fait rêver des chefs d’état français et anglais de la percée d’un Tunnel sous la Manche.
Enfin, ce cycle est aussi l’occasion de revoir le chef d’œuvre d’Abel Gance La Roue, fresque lyrique monumentale restaurée en 2020 par la Fondation Jérôme Seydoux – Pathé, et dont l’intégralité sera projetée lors de la Nuit européenne des musées, le 14 mai.