Les restaurations se concentrent sur les grands films de l’histoire de Pathé (La Femme et le pantin, Paris qui dort, La Roue, les films de Georges Méliès) mais aussi des auteurs moins connus (Albert Capellani, André Antoine) et des corpus inédits d’avant-guerre à (re)découvrir (Emile Cohl, Segundo de Chomon, la série des Léontine). Un travail historique de fonds est mené afin de restituer le film au plus proche de ce qu’il était à l’origine. Ainsi, quand la documentation rassemblée et les éléments filmiques le permettent, la couleur et les cartons d’époque sont recomposés, au plus proche de la source d’origine.
De plus, un travail important est mené pour la composition musicale accompagnant les films. Après le projet de reconstruction magistral mené pour La Roue d’Abel Gance (1923), à partir de la liste musicale d’origine d’une durée de sept heures rassemblant plus d’une centaine de partitions ; la Fondation continue de mener des projets d’accompagnement musicaux importants, avec la partition originale d’Entr’acte de René Clair (1923) composée par Erik Satie ; la musique d’écran de La Femme et le pantin de Jacques de Baroncelli (1927) ; ou encore la liste musicale d’originale de l’Arlésienne d’André Antoine (1922) orchestrées par Gunter A. Buchwald et interprétées par l’Octuor de France.
C’est dans ce souci d’offrir le spectacle le plus complet, dans une fidélité historique toujours préservée, que la Fondation Pathé œuvre à la conservation et la restauration de son patrimoine filmique.
Emile Cohl travaille chez Gaumont depuis 1908 quand il est embauché en 1911 par Pathé pour livrer des films dont le coût du métrage n’excède pas 12 F. L’expérience sera de courte durée, probablement décevante pour Cohl – du moins peut-on le supposer au regard des objectifs qui lui sont imposés. Sa filmographie chez Pathé n’en est pas moins prolixe, avec au moins 18 films en neuf mois (et deux autres titres qui lui sont attribuables). La longueur des bandes varie entre 81 et 150 mètres, ce qui correspond pour la période à des compléments de programme.
A l’origine caricaturiste, Emile Cohl reprend la technique films d’animation dont il a été le pionnier chez Gaumont et qui fera sa renommée. Dans Le retapeur de cervelles, il mêle des prises de vues en studio et des dessins filmés image par image.
Exception dans sa carrière, il tourne également la série de Jobard en images réelles. Ces neuf films tournés en moins de trois mois sont le fruit de son association avec le comédien de théâtre venu lui aussi de Gaumont, Lucien Cazalis. Aucune autre figure comique ne connaît un rythme d’édition plus effréné, comme si Pathé testait la popularité d’un de ses nouveaux comiques. Les réalisations de Cohl utilisent les recettes de la maison (comique de situation à partir d’un simple canevas, où l’intrigue romantique est encore secondaire, un plan rapproché à la fin du film, décors de rues alternant avec des prises de vues en studio). Le personnage créé, en costume rayé et haut-de-forme, n’est pas sans rappeler Max, mais il est aussi très proche de Rigadin
Restauration 4K en 2016 au laboratoire l’Immagine Ritrovata à Bologne, avec le soutien du CNC.
Le musée des grotesques : accompagnement au piano par Jean-François Zygel au studio Sequenza, enregistrement et mixage Thomas Vingtrinnier.
Les autres films sont accompagnés au piano par Emmanuel Birnbaum au studio LE Diapason, enregistrement et mixage Léon Rousseau.
Le retapeur de cervelles (octobre 1910), 7’09
Le musée des grotesques (janvier 1911) 4’36
Le cheveu délateur (mai 1911) 6’18
Jobard change de bonne (mai 1911) 6’53
Jobard a tué sa belle-mère (mai 1911) 7’57
Jobard ne veut pas voir les femmes travailler (juin 1911) 5’27
Les fantaisies d’Agénor Maltracé (mars 1911) 5’49
Jobard fiancé par intérim (juillet 1911) 7’26
Jobard est demandé en mariage (avril 1911) 7’28
Jobard ne peut pas rire (mai 1911) 8’04
Jobard garçon de recettes (mai 1911) 5’44
Jobard amoureux timide (mai 1911) 5’33
Jobard portefaix par amour (juin 1911) 6’03
La revanche des esprits (juillet 1911) 5’03
Segundo de Chomón commence à travailler pour Pathé en 1902 en tant que coloriste, mais développe assurément sa carrière entre 1906 et 1909, débutant lorsqu’une succursale, consacrée exclusivement au cinéma, est créée à Barcelone. Il collabore alors régulièrement comme opérateur, en Espagne puis en France, et développe différents « trucs » pour les films Pathé. Il dirige aussi la réalisation de films. Tout en explorant une grammaire héritée des spectacles de la fin du XIXe siècle où se mêlent danse, apparitions, tableaux historiques, fantastique, Chomón renouvelle les représentations et contribue à généraliser l’emploi de certains trucages. Il déploie un univers onirique pour lequel il agence accessoires, décors, maquillage et costumes et acrobaties. Les images qui en naissent, soutenus par les effets du coloriage dont certains ont été conservés dans les copies des collections de la Fondation Pathé, donnent naissance à des images particulièrement dynamiques et fascinantes.
Entre 1906 et 1910, Chomón participera à plus d'une centaine de films. Féeries, fantastiques et comiques, tous les genres deviennent de petits bijoux lorsqu’ils passent entre les mains de ce magicien qui, à côté des apparitions, disparitions et substitutions par arrêt de caméra, des surimpressions et de l'utilisation de la caméra verticale, exploite magistralement les effets d'échelle, les animations image par image, les ombres chinoises et le mouvement inversé.
Restauration 4K en 2017 au laboratoire l’Immagine Ritrovata à Bologne, avec le soutien du CNC.
Accompagnement au piano par Jean-François Zygel au studio Sequenza, enregistrement et mixage Thomas Vingtrinnier : Métempsycose et Voyage original.
Accompagnement au piano par Emmanuel Birnbaum au studio LE Diapason, enregistrement et mixage Léon Rousseau : L’Obsession de l’or, La Flûte enchantée et Hallucination musicale.
Métempsycose, 1907, attribué à Ferdinand Zecca ou à Segundo de Chomón, 3’57
L’Obsession de l'or, 1906, attribué à Ferdinand Zecca ou à Segundo de Chomón, 6’43
Voyage original, 1908, Segundo de Chomón, 5’15
La Flûte enchantée, 1906, Segundo de Chomón, 8’55
Hallucination musicale, 1906, Segundo de Chomón, 4’34
La Maison des revenants, 1912, Segundo de Chomón, 7’56
« Le film que vous allez voir tout à l’heure a été conçu dans un esprit de réaction contre les tendances pseudo-artistiques du cinéma moderne. C’est une histoire simple, un conte pour les enfants de l’âge de la télégraphie sans fil. (…) J’ai voulu par là revenir à la base, faire une sorte de démonstration par l’absurde de la valeur des images animées. »
René Clair, Cinémagazine, 5 décembre 1924.
« Entr’acte ne croit pas à grand-chose, au plaisir de la vie peut-être, il croit au plaisir d’inventer. Il ne respecte rien si ce n’est le désir d’éclater de rire, car rire, penser, travailler ont une même valeur et sont indispensables l’un à l’autre. »
René Clair citant Picabia en 1957.
Sur les toits de Paris, Erik Satie et Francis Picabia font des bonds de part et d’autre d'un canon. Un obus explose. S'en suit un enchaînement d'images d'inspiration dadaïstes : une danseuse barbue, un chasseur tyrolien, un corbillard tiré par un chameau suivi par une foule de grotesques qui prend de la vitesse et s’emballe.
Tourné au printemps 1924, quelques semaines avant Paris qui dort, Entr’acte est une commande de Rolf de Maré, le directeur des Ballets Suédois. Le film est réalisé par René Clair sur un argument de Francis Picabia. Il est destiné à être projeté pendant le ballet Relâche, donné à partir du 4 décembre 1924 au Théâtre des Champs-Elysées. Les comédiens du film sont les danseurs du ballet, Jean Börlin et Inge Fries, ainsi que des amis, comme Marcel Duchamp et Man Ray. Bien que simple exécutant, René Clair voit sa carrière lancée par ce film qui conquit la presse.
Entr’acte est un film d’avant-garde irrévérent, destiné à être projeté pendant le prologue et pendant l’entr’acte du ballet pour « faire sortir le public de la salle », comme le relate la presse de l’époque.
Construit sans narration, il utilise des effets visuels et recours au comique de situation par la métaphore.
C’est aussi un film dont les références au cinéma muet de la Belle-Epoque sont fortes : la prise de vue image par image et les vues accélérées, le gag, la course-poursuite, la disparition, le magicien, la foire, etc. René Clair multiplie les références à Méliès ainsi qu’aux films comiques tels que ceux du catalogue Pathé.
Jean Börlin (le chasseur et le mort)
Inge Fries (la danseuse)
Marcel Duchamp (un joueur d’échec)
Man Ray (un joueur d’échec)
Erik Satie (le compositeur présenté dans le prologue)
Francis Picabia (l’auteur présenté dans le prologue)
Rolf de Maré (le commanditaire)
Marcel Achard, Georges Auric, Georges Charensol, Roger Le Bon, Jean Mamy, Darius Milhaud, Pierre Scize et Louis Touchagues (le cortège du corbillard)
Le singe de Jean Börlin
Restauration 4K en 2019 au laboratoire l’Immagine Ritrovata à Bologne, avec le soutien du CNC. D’après le négatif image Pathé et une copie d’origine de la Fondazione Cineteca Italiana (Milan).
En 1967, René Clair avait supprimé plusieurs plans du film pour en faire une œuvre autonome et gommer les références au ballet. La restauration de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé restitue la première version d’Entr’acte en les réintégrant :
- dans le prologue : les cheminées, le singe saïmiri, les cercles lumineux et les façades d’immeuble.
- à la fin du film : la gifle et le coup de pied donnés par Rolf de Maré à Jean Börlin.
Erik Satie a composé l’accompagnement musical original du film et du ballet Relâche. Le DCP comprend l’enregistrement de la musique originale. Pour tout accompagnement du film en direct, la partition d’origine d’Erik Satie fournie par la Fondation doit être respectée.
Entr’acte (René Clair) © 1924 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Succession René Clair
« Sans négliger l'enrichissement considérable de la technique, il m'a semblé possible de faire, comme au début du cinéma, des films dont les scénarios sont directement écrits pour l'écran, en utilisant quelques ressources propres à l'appareil de prise de vue. Je pense que le sujet du film doit être avant tout un thème visuel.
S'il est une esthétique du mouvement elle a été découverte en même temps que l'appareil de prise de vue et le film en France par les frères Lumières. Elle se résume en un mot, « mouvement ». Mouvement extérieur des objets perçus par l'œil, auquel nous ajouterons aujourd'hui le mouvement intérieur de l'action. L'union de ces deux mouvements est ce dont on parle tant et ce que l'on perçoit si peu souvent : « le rythme ».
René Clair, Revenons à cette source, 1924
Le gardien de nuit de la tour Eiffel s'aperçoit un matin que Paris ne s'est pas réveillé... Seul un petit nombre de personnes arrivant à Paris en avion n’est pas touché par cet étrange sort.
L’idée de Paris qui dort est simple, mais novatrice, fruit de l’inspiration d’un jeune homme de 25 ans, René Chomette, bientôt Clair, une nuit de novembre 1922. Tourné l’été suivant, Paris qui dort donne lieu à des effets visuels surprenants et révèle déjà le talent singulier et enchanteur du cinéaste. Henri Diamant-Berger finance le film, offrant au jeune Clair une équipe artistique et technique, mais peu de moyens. Une fois montée, l’œuvre reste sur une étagère, faute de distributeur.
C’est le succès d'Entr’acte, présenté au Théâtre des Champs-Elysées en décembre 1924, qui permet la sortie du film par l’Agence Générale Cinématographique en février 1925, avec comme double titre Le Rayon diabolique, et un métrage de 1480 m. Parallèlement, une version de 5500 pieds (1677 m) est distribuée par Astor films (Isis) à Londres fin janvier 1925, quelques jours avant la sortie officielle française. Ces versions issues de deux négatifs ont circulé conjointement.
Si ce joyau poétique et burlesque trouve les faveurs du public et de la critique, René Clair se montre par la suite sévère à l’égard de cette œuvre de jeunesse qu’il considère bafouée par son producteur.
Henri Rollan : Albert
Charles Martinelli : Le savant fou
Louis Pré Fils : L’inspecteur
Albert Préjean : Le pilote
Madeleine Rodrigue : Hesta, la passagère
Myla Seller : La nièce du savant fou
Antoine Stacquet : Le milliardaire
Marcel Vallée : Un voleur international
Restauration 4K entreprise par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé en 2018 au laboratoire L’Immagine Ritrovata, avec le soutien du CNC.
En 1971, René Clair procède à un remontage réduisant le film à 36 minutes.
La restauration de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, à partir d’une copie d’origine conservée au BFI, restitue la version anglaise de 1925, teintée et comprenant des plans inédits.
Accompagnement musical improvisé par le pianiste, compositeur et musicologue Karol Beffa.
Remerciements au British Film Institute et à Claudine Clair.
Paris qui dort (René Clair) © 1925 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Succession René Clair
La carrière d’André Antoine se décline en trois temps : théâtre, cinéma, critique. Issu d’un milieu très modeste de Limoges, Antoine travaille d’abord à la Compagnie du gaz, comme son père. En parallèle, il est chef de claque au théâtre le soir. En 1885, il rejoint une compagnie de théâtre amateur puis fonde le Théâtre-Libre en 1887, théâtre naturaliste inspiré de Zola qui rencontre immédiatement un très grand succès. Antoine devient célèbre dans le monde du théâtre pour sa manière très moderne de mettre en scène et de diriger les acteurs. Il monte le Théâtre Antoine, puis devient directeur du théâtre de l’Odéon de 1906 à 1914.
Au déclenchement de la Grande Guerre, Antoine démissionne de l’Odéon et rejoint le cinéma : il a 57 ans. Il est engagé par Pierre Decourcelle et Eugène Gugenheim, directeurs de la SCAGL (Société cinématographique des auteurs et gens de lettres) dont Pathé édite les films. Spécialisé dans les adaptations littéraires à caractère social, naturaliste et pittoresque, Antoine succède à Albert Capellani à la direction artistique de la SCAGL. Il impulse une tendance réaliste du cinéma français en tournant systématiquement en décors naturels et en mêlant les autochtones aux acteurs de théâtre qu’il forme à un jeu très vivant.
Le Coupable est une adaptation du livre homonyme de François Coppée. Un avocat au parcours exemplaire défend un jeune homme, accusé de meurtre. Lors de sa plaidoirie, à la grande surprise de tous, il annonce être le père de l’inculpé, abandonné avant sa naissance.
Antoine construit le film en flash-back avec deux formes narratives opposées. Les personnages déambulent dans un décor naturel avec de nombreuses scènes tournées en extérieur dans le Paris de la fin des années 1910, aux ruelles pavées et cabossées, la campagne aux portes de la capitale, la Seine traversée en bateau, les boutiques désuètes et la maison de redressement.
L’autre partie du film se déroule dans le décor austère du tribunal qui abrite le face-à-face entre l’accusé et ses juges. L’espace est clos, plongé dans l’obscurité, comme sur une scène de théâtre.
Antoine dirige Romuald Joubé qui tient le rôle principal de la plupart de ses films, aux côtés ici de la moins connue Séphora Mossé, et de grands acteurs du théâtre de la Comédie-Française Sylvie et Léon Bernard. Comme à son habitude, Antoine les confronte au tournage en extérieur et les fait côtoyer des acteurs non-professionnels.
Restauration 4K réalisée en 2020 à L’Image Retrouvée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et La Cinémathèque française à partir du négatif original déposé par Pathé à la Cinémathèque. Les intertitres ont été reconstitués d’après une copie d’époque du Geste de Georges Denola (1917) issue des collections du CNC, ainsi qu’à l’aide du scénario d’Antoine conservé à la Bibliothèque nationale de France et du roman de François Coppée.
Musique composée par Benjamin Moussay et interprétée par Benjamin Moussay (piano), Louis Sclavis (clarinettes), Vincent Courtois (violoncelle) et Frédéric Norel (violon). Enregistrement et mixage par Léon Rousseau (L. E. Diapason).
Le Coupable (André Antoine) © 1917 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
La carrière d’André Antoine se décline en trois temps : théâtre, cinéma, critique. Issu d’un milieu très modeste de Limoges, Antoine travaille d’abord à la Compagnie du gaz, comme son père. En parallèle, il est chef de claque au théâtre le soir. En 1885, il rejoint une compagnie de théâtre amateur puis fonde le Théâtre-Libre en 1887, théâtre naturaliste inspiré de Zola qui rencontre immédiatement un très grand succès. Antoine devient célèbre dans le monde du théâtre pour sa manière très moderne de mettre en scène et de diriger les acteurs. Il monte le Théâtre Antoine, puis devient directeur du théâtre de l’Odéon de 1906 à 1914.
Au déclenchement de la Grande Guerre, Antoine démissionne de l’Odéon et rejoint le cinéma : il a 57 ans. Il est engagé par Pierre Decourcelle et Eugène Gugenheim, directeurs de la SCAGL (Société cinématographique des auteurs et gens de lettres) dont Pathé édite les films. Spécialisé dans les adaptations littéraires à caractère social, naturaliste et pittoresque, Antoine succède à Albert Capellani à la direction artistique de la SCAGL. Il impulse une tendance réaliste du cinéma français en tournant systématiquement en décors naturels et en mêlant les autochtones aux acteurs de théâtre qu’il forme à un jeu très vivant.
Les Travailleurs de la mer est une adaptation du roman de Victor Hugo. Gilliatt, pêcheur solitaire et grand rêveur, brave toutes sortes d'obstacles pour arriver à sauver le moteur de La Durande, bateau de Mess Lethierry qui a été saboté par des marins jaloux. Lethierry lui offre en récompense la main de sa nièce Déruchette, dont Gilliatt est secrètement amoureux.
Fuyant Paris pendant la guerre, le metteur en scène profite de son exil breton en transposant Les Travailleurs de la mer à Camaret-sur-mer où il a acheté une maison en 1902. Le tournage débute à la fin du mois de juillet et se termine en septembre. Premier volet du filon régionaliste d'Antoine, Les Travailleurs de la mer est très bien accueilli à la fois par la presse et le public. Gustave Simon, légataire testamentaire d'Hugo, félicite même le metteur en scène pour sa retranscription à l’écran de l’énergie et l’atmosphère du roman. « C’est une belle leçon d’art » conclut-il.
L'histoire est portée par Romuald Joubé (le marin Gilliatt), acteur fétiche d’Antoine, qui obtient une permission du Ministère de la Guerre le temps du tournage. Il est accompagné d’Armand Tallier, Andrée Brabant, Charles Mosnier, Philippe Garnier, Clément Liezer, Verthuys, Liener et Marc Gérard. Antoine mobilise aussi de nombreuses forces vives locales qui ajoutent du pittoresque au film.
Restauration 4K réalisée en 2020 à L’Image Retrouvée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et La Cinémathèque française, avec le soutien du CNC. Restauration à partir d’une copie néerlandaise teintée et virée unique issue des collections de la Cinémathèque.
Musique composée par Stephen Horne. Enregistrement et mixage par Léon Rousseau (L. E. Diapason).
Les Travailleurs de la mer (André Antoine) © 1919 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
La carrière d’André Antoine se décline en trois temps : théâtre, cinéma, critique. Issu d’un milieu très modeste de Limoges, Antoine travaille d’abord à la Compagnie du gaz, comme son père. En parallèle, il est chef de claque au théâtre le soir. En 1885, il rejoint une compagnie de théâtre amateur puis fonde le Théâtre-Libre en 1887, théâtre naturaliste inspiré de Zola qui rencontre immédiatement un très grand succès. Antoine devient célèbre dans le monde du théâtre pour sa manière très moderne de mettre en scène et de diriger les acteurs. Il monte le Théâtre Antoine, puis devient directeur du théâtre de l’Odéon de 1906 à 1914.
Au déclenchement de la Grande Guerre, Antoine démissionne de l’Odéon et rejoint le cinéma : il a 57 ans. Il est engagé par Pierre Decourcelle et Eugène Gugenheim, directeurs de la SCAGL (Société cinématographique des auteurs et gens de lettres) dont Pathé édite les films. Spécialisé dans les adaptations littéraires à caractère social, naturaliste et pittoresque, Antoine succède à Albert Capellani à la direction artistique de la SCAGL. Il impulse une tendance réaliste du cinéma français en tournant systématiquement en décors naturels et en mêlant les autochtones aux acteurs de théâtre qu’il forme à un jeu très vivant.
L’Arlésienne est une adaptation de la nouvelle d’Alphonse Daudet (un texte qu’André Antoine connaît bien pour l’avoir porté au théâtre). C’est la deuxième adaptation du célèbre texte après celle d’Albert Capellani pour la SCAGL en 1908. Frédéri, fou amoureux de l’Arlésienne, se heurte aux réticences de sa mère et accepte d’épouser Vivette. Sa rencontre inopinée avec Mitifio, l’amant de l’Arlésienne, réveille son amour.
En 1918, Antoine se rend en Provence afin de peaufiner son scénario. Il y retourne à l’été 1921 avec les deux opérateurs, Pierre Trimbach et Léonce-Henri Burel, et son assistant, Georges Denola, pour les repérages. Tourné entièrement en décors naturels, il recourt seulement à la lumière artificielle pour les scènes d’intérieur. L’histoire alterne entre le centre-ville d’Arles et la ferme du Castelet près des Saintes-Maries-de-la-mer. Antoine met en valeur le patrimoine local en filmant les arènes, la cathédrale Saint-Trophyme, le marché des Alyscamps et la campagne alentour. Le producteur est pourtant déçu du résultat et exige le tournage de scènes supplémentaires. Antoine qui se détache du projet et décide de mettre fin à sa courte carrière cinématographique. Il déclare : « Si j’avais vingt ans de moins, au lieu de bavarder, je ferais le Cinéma-Libre, libre des routines, des combinaisons, des trusts et des paresseux qui l’ont mené là où il est tombé ».
Les acteurs, issus du théâtre, du music-hall, ou non-professionnels, épousent un jeu très naturel et se fondent dans le décor en se mêlant aux locaux. L’adaptation d’Antoine fait grand bruit puisque l’on dit que pour la première fois, on voit l’Arlésienne à l’écran. Elle apparaît pourtant déjà dans la première adaptation de Capellani, mais le scandale vient de Marthe Fabris, actrice de music-hall qui porte le film aux côtés de Gabriel de Gravonne et Charles de Rochefort.
Restauration 4K réalisée en 2020 à L’Image Retrouvée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et La Cinémathèque française, avec le soutien du CNC. Restauration à partir de deux copies diacétate complémentaires de 1925 et 1926 issues des collections de la Cinémathèque.
Musique arrangée et composée par Günter Buchwald, à partir de l’adaptation musicale d’époque de Gabriel Diot rassemblée spécialement pour le film. Interprétation par L’Octuor de France présidé par Jean-Louis Sajot. Enregistrement et mixage par Léon Rousseau (L. E. Diapason).
L'Arlésienne (André Antoine) © 1922 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
Jacques de Baroncelli débute sa carrière cinématographique en 1915 et réalise 53 films pendant la période du muet. Il continue à exercer jusqu’en 1948 (31 films parlants). Issu de la noblesse du Vaucluse ; il arrive à Paris à 29 ans et débute comme journaliste parallèlement à sa carrière de cinéaste. Ses films remportent rapidement un vif succès. Il devient directeur artistique du Film d’art au début des années 1920. Il allie cinéma populaire, adaptations littéraires et avant-garde (Nitchevo, La Femme et le Pantin, L’Arlésienne, Le Rêve, Le Père Goriot, Le Rêve et Pêcheur d’Islande)
Le film est adapté de la pièce de théâtre que Pierre Louÿs et Pierre Frondaie ont tirée du roman de Pierre Louÿs (1898). Dans la mise en scène de Firmin Gémier au Théâtre Antoine en 1910, la danseuse étoile de l’Opéra-Comique Régina Badet choquait les contemporains par une danse suggérant la nudité.
Le tournage a lieu à l’hiver 1928 et au début de l’année 1929 entre l’Andalousie (Séville et Cadix) et le studio des Cinéromans à Joinville-le-Pont.
Le 10 avril 1929 a lieu une première présentation pour la presse au cinéma Le Rialto à Paris, avant d’être programmé en exclusivité au Paramount à partir du 1er juin pour une semaine. La scène de nu est alors partiellement censurée. A l’automne, le film est à l’affiche des salles de France dans une version qui réintègre la scène de nu.
Après avoir beaucoup cherché son actrice, Baroncelli tombe sous le charme de la jeune danseuse espagnole de 17 ans récemment devenue actrice. La Femme et le Pantin est son seul film français, après trois tournages espagnols et une carrière américaine. Elle jouera sous la direction de Ramon Novarro, Franck Borzage, Van Dyke, Robert Siodmak.
Restauration 4K menée en 2020 au laboratoire L’Image Retrouvée (Paris-Bologne) à partir du négatif original du film, comprenant les flash-titles des cartons d’origine. Ce négatif correspond au montage édité pour le territoire français. La Cinémathèque française avait précédemment restauré une version étrangère du film.
Pour la présentation du film La Femme et le Pantin au Paramount en 1929, une musique d’écran a été spécialement composée par Edmond Lavagne, Georges van Parys et Philippe Parès, et éditée par Sam Fox. Cette partition retrouvée a été arrangée et orchestrée par Günter A. Buchwald pour l’orchestre de l’Octuor de France présidée par Jean-Louis Sajot).
La Femme et le pantin (Jacques de Baroncelli) © 1929 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
D'origine modeste, Abel Gance s’intéresse d’abord au théâtre et à la littérature avant de se lancer dans le cinéma. Il joue dans quelques films en tant que figurants, puis commence à écrire des scénarios dont plusieurs seront portés à l'écran (Le portrait de Mireille, Un clair de lune sous Richelieu, L'auberge rouge). Il fonde la société Films Français en 1911 et réalise son premier film La digue. Il signe une quinzaine de films dont Mater Dolorosa et J'accuse qui en pleine période Grande Guerre feront connaître le cinéaste.
En 1919, quand il se lance dans le projet colossal que deviendra La Roue, Abel Gance a 30 ans et est auréolé du succès de J'accuse. Soutenu par Charles Pathé, il prépare son nouveau film dès 1919, La Rose du rail. Inspiré du roman de Pierre Hamp, Le Rail paru en 1912, le projet deviendra celui de La Roue. De novembre 1919 à février 1922, Gance mènera ses équipes à Nice, Chamonix et Arcachon, à Paris et dans sa région, pour créer un mélodrame psychologique : la tragédie du cheminot Sisif, cheminot ingénieux et irrévérencieux, pris dans les tourments de la passion que lui inspire sa fille adoptive Norma.
La Roue a été présenté au public dans dix salles parisiennes le 16 février 1923, dans une version de plus de 10 000 mètres (environ 8 heures) en 1 prologue et 4 époques. Au Gaumont-Palace, le film fut projeté avec une partition musicale élaborée par Arthur Honegger et Paul Fosse, le directeur musical et chef d’orchestre de l’établissement.
La sortie de février 1923 correspondait à une version différente de celle que Gance présenta en avant-première en décembre 1922. Par la suite, le metteur en scène retravailla son montage, notamment pour des versions étrangères. En 1924, une nouvelle version du film, amputé de la moitié de sa durée, a été distribuée en France et à l'étranger.
Ces différents remaniements firent disparaître la version originale du film. Le négatif original a par la suite été remanié plusieurs fois par Gance lui-même, notamment en 1929 pour faire une version sonore de près de 3 heures. Les coupes effectuées à ce moment-là ont été perdues.
La principale originalité de la restauration de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a été de s'appuyer sur la conduite musicale afin de reconstituer le montage d'origine associé à la musique. Cette liste musicale, établie par Paul Fosse et Arthur Honegger pour la sortie du film au Gaumont-Palace en février 1923, comporte 115 pièces écrites par 56 compositeurs. Chacune correspond à une scène ou une séquence du film que Paul Fosse a parfois indiqué manière sibylline sur sa liste.
Lors d’un accident ferroviaire, le mécanicien Sisif recueille une petite fille, Norma. Il l’élève aux côtés de son fils, Elie. Dans une modeste maison de cheminot, les deux jeunes enfants grandissent heureux, sans savoir qu’ils ne sont pas frère et sœur.
Devenue jeune fille, Norma suscite toute la tendresse d’Elie, mais sa beauté trouble aussi son père adoptif, torturé par le désir et la jalousie. L’humeur ombrageuse de Sisif pousse Norma à céder aux avances d’un ingénieur riche et peu scrupuleux, Hersant.
Le mariage de Norma et de Hersant entraîne la rupture du noyau familial : Elie découvre qu’elle n’est pas sa sœur et Sisif, dans un geste de violence, détruit sa locomotive. Quant à Norma, malheureuse dans sa nouvelle existence, elle ne comprend pas que Sisif refuse de la voir. C’est Elie qui, rencontrant Norma en cachette, provoquera une confrontation avec Hersant dont aucun ne sortira vivant. Sisif, qui a perdu la vue et s’est retiré dans la montagne, apprendra peu à peu à apprivoiser Norma.
Film lyrique, la tragédie pénètre les tréfonds de l'âme. La Roue se caractérise d’emblée par son ampleur (8 heures de film), son intensité, son caractère novateur et son montage étonnamment riche, rapide et formidablement rythmé. Les mouvements d’appareil, la technique d’éclairage, les fondus composent un cinéma dynamique. Gance investit l’univers des trains (fumées, rails, machines) et le façonne par des effets visuels et une multiplication des plans. Il utilise le rythme de la machine comme modèle de montage. Accompagné de son acolyte l’opérateur Léonce Henri-Burel qui signe une excellente photographie, il propose des jeux de teintages et virages surprenants et investit magnifiquement les extérieurs réels comme les séquences plus complexes en studio.
Restauration de la version de février 1923 menée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé entre 2016 et 2019, en collaboration avec La Cinémathèque française et la Cinémathèque suisse, sous la direction de François Ede, au laboratoire L’Immagine Ritrovata.
L’objectif de cette restauration était de reconstruire aussi fidèlement que possible un film devenu invisible dans sa version d’origine, à causes de ses nombreuses mutilations, et de restituer un spectacle cinématographique exceptionnel, avec accompagnement d’orchestre proche de ce que découvrirent les spectateurs du Gaumont-Palace au début de l’année 1923.
La liste musicale de Paul Fosse et Arthur Honegger a été intégralement reconstruite par une équipe de musicologues, sous la direction du compositeur Bernd Thewes, et transposée pour un orchestre dont la formation est comparable à celui du Gaumont-Palace en 1923. En résulte un programme de 7 heures, tiré essentiellement du répertoire français de la fin du XIXème et du début du XXème siècle, très différent des références hollywoodiennes qui se sont imposées par la suite. Ces œuvres souvent méconnues, dont une grande partie n’avaient jamais été enregistrée jusqu’à présent, sont pour le film, plus qu’un simple accompagnement, un véritable révélateur.
La Roue (Abel Gance) © 1923, coll. Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Léontine fait partie de ces « Nasty women » révélée au festival du cinéma muet de Pordenone en 2017. Jeune espiègle dont l’identité demeure inconnue, Léontine donna son nom à une série Pathé produite par la marque Comica établie à Nice entre 1910 et 1912 comprenant plus d’une vingtaine de films. Au même titre que Rosalie, autre figure féminine d’une série comique Pathé, elle enchaîne les catastrophes et détruit tout sur son passage, dans une esthétique du renversement typique des premiers comiques américains « slapsticks ». On ne sait toujours pas qui se cache derrière ce personnage, mais la jeune fille impressionne par sa maitrise des cascades et son jeu très moderne pour l’époque.
Installée sur la Côte d’Azur, la marque Comica attachée à la société Pathé fidélise les spectateurs autour de personnages aux aventures cocasses et à l’imagination débordante. Issus de la classe populaire, ils tournent en dérision le quotidien des habitants et envahissent les rues de Nice, bousculant l’ordre social établi. C’est le directeur de la marque, Roméo Bosetti, qui tourne en partie les séries des Léontine.
Léontine s’envole propose une véritable déambulation dans la ville de Nice et ses environs en recourant aux effets spéciaux dignes des premiers films à trucs avec l’insert, l’arrêt caméra, l’accéléré, le trucage au cache. Le film nous offre une balade aérienne sur la côte d’Azur.
Dans Léontine enfant terrible, l’incorrigible Léontine est devenue propriétaire d’une pile électrique qu’elle essaye immédiatement sur deux vieilles dames. Les pauvres femmes se mettent à tourner sur elles-mêmes de plus en plus vite, pour finalement tomber sur le sol pendant que Léontine s’enfuit à la recherche de nouvelles victimes.
Les films Léontine enfant terrible, Léontine en apprentissage et Léontine en vacances jouent entièrement sur le comique de destruction, les assiettes volent et se brisent au sol, l’eau et le feu envahissent le décor ravagé. Léontine détruit tout sur son passage et s’amuse de nombreux tours qu’elle fait subir aux différents protagonistes qui se trouvent sur son passage. Les courses poursuites dans Nice offrent un panorama de la ville et ses environs.
Restauré en 4K par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé en 2019 à partir du négatif original issu de ses collections. Travaux effectués par L’Image Retrouvée Paris-Bologne.
Accompagnement au piano par Emmanuel Birnbaum au studio LE Diapason, enregistrement et mixage Léon Rousseau.
Léontine en apprentissage, Comica, 1910, 9’41
Léontine en vacances, Roméo Bosetti, Comica, 1910, 8’09
Léontine enfant terrible, Comica, 1911, 6’24
La Pile électrique de Léontine, Comica, 1910, 6’17
Léontine s’envole, Comica, 1911, 5’50
C’est dans la ville ensoleillée de Nice que se développent les marques Comica et Nizza. Installées sur la Côte d’Azur, les deux marques attachées à la société Pathé fidélisent les spectateurs autour de personnages aux aventures cocasses et à l’imagination débordante. Issus de la classe populaire, ces individus hors normes avec leurs drôles de bobines (Léontine, Rosalie, Bigorno, Little Moritz) n’hésitent pas à tourner en dérision le quotidien des citadins et des habitants de la proche banlieue. Envahissant les rues de Nice, ils bousculent l’ordre social établi. Pour réaliser ces séries comiques, les deux sociétés font appel à des cinéastes fidèles qui apportent avec eux leur propre univers, comme Roméo Bosetti, directeur de la filiale Comica, qui donne vie au personnage de Léontine.
Restaurés en 4K par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé en 2019 à partir des négatifs originaux issus de ses collections. Travaux effectués par L’Image Retrouvée Paris-Bologne.
Accompagnement au piano par Emmanuel Birnbaum au studio LE Diapason, enregistrement et mixage Léon Rousseau.
Caroline fait du sabotage, Comica, 1914, 9’30
C’est la fête à Marie, Roméo Bosetti, Comica, 1914, 5’
La Course aux moustiquaires, Nizza, 1914, 9’14
Un bon drame, Comica, 1913, 3’13
Bigorno fume l’opium, Comica, 1914, 8’
Créateur du spectacle cinématographique, Georges Méliès a produit une œuvre considérable en poursuivant sa pratique magicienne au cinéma avec près de 4000 films. Il tourne dès 1896 ses premiers films à Montreuil-sous-Bois dans le jardin de la propriété familiale, non loin des studios Pathé. Il découvre et met en pratique les procédés du trucage cinématographique, en adaptant certains de ses tours au cinématographe. Il touche à différents genres, les contes et légendes, fééries, reconstitutions historiques, excursions scientifiques, et même la comédie. Après des années de gloire, l’allongement du métrage et la mise en place du système de la location des films rend la production et l’exploitation de ses films plus difficile.
En 1910, il met un arrêt temporaire à sa carrière cinématographique. L’année suivante, il est sollicité par Charles Pathé qui l’engage à réaliser des films pour la firme. De l’été 1911 au début de l’année 1913, il tourne ainsi ses six derniers films : Les Hallucinations du baron de Münchausen (1911), Le Vitrail diabolique (1911), A la conquête du pôle (1911), Cendrillon ou la pantoufle merveilleuse (1912), Le Chevalier des neiges (1913) et Le Voyage de la famille Bourrichon (1913). En plus de constituer le dernier corpus de films de Méliès, ces six réalisations montrent comment le créateur de films à trucs a su accommoder son art aux exigences de l’industrie cinématographique en tournant avec celui qui était considéré comme l’un des plus grands producteurs au monde. Dans un témoignage à Georges-Michel Coissac en 1925, Méliès se présenta lui-même comme l’un des meilleurs artisans de Pathé.
Le baron de Münchhausen, Karl Friedrich Hieronymus, est un officier allemand, mercenaire à la solde de l'armée russe. Il confia à un écrivain ses exploits et extraordinaires aventures, tels que le voyage sur la Lune sur un boulet de canon ou une danse avec Vénus. Leur récit en fit l’un des héros les plus populaires de la littérature allemande, à la manière de Tartarin de Tarascon. En France, le livre sera traduit de l'allemand par Théophile Gautier fils en 1854, avec des illustrations de Gustave Doré. Méliès en livre la première adaptation pour le cinéma et la seule de la période muette, avant celle de Josef Von Baky réalisé pour les 25 ans de la UFA en 1943, jusqu’au film de Terry Gilliam en 1988.
Cette scène à trucs d’une longueur de 235 mètres présente une suite de visions suaves et de cauchemars incohérents dans des tours de force brillamment exécutés. Après une soirée animée en compagnie d'invités divertissants, le Baron de Münchhausen, enivré, s'endort seulement pour expérimenter une variété de rêves dans des mondes étranges et extraordinaires. Méliès y interprète lui-même le rôle du diable comme dans Les quat’cents farces du diable (1906).
Edité en janvier 1913, Le Chevalier des neiges, "féérie fantastique enfantine", est l'avant dernier des six films que Georges Méliès réalise pour Pathé, avant Le Voyage de la famille Bourrichon (avril 1913). Parce qu'il souffre très probablement d'un manque d'idées de la part de son metteur en scène, Le Chevalier des neiges est un film qui a été peu montré et qui reste mal connu. Les conditions de sa réalisation tardive et les maladresses auxquelles il n'échappe pas ont probablement empêché qu'il soit mis en valeur.
Il n'empêche que, s'inscrivant autant dans l'histoire de Méliès que de Pathé, Le Chevalier des neiges appartient à un corpus qui suscite aujourd'hui une attention particulière et qui mérite, à plus d'un titre, d'être redécouvert et analysé. Sa restauration et sa diffusion permettront de l'inscrire dans des études comme celle de la programmation de films pour enfants à une période où Pathé multiplie les séries autour de personnages comiques, et où le programme d'une séance s'articule autour d'une film dont la durée dépasse désormais une heure. Son intérêt réside aussi dans le procédé de narration cinématographique des contes, exercice auquel Albert Capellani s'était prêté autour de 1908, ou encore dans celui du montage, qui semble dans le cas présent avoir été réalisé au sein de Pathé.
Une restauration menée en partenariat avec La Cinémathèque française.
D'après le conte "Cendrillon ou La Petite pantoufle de verre" de Charles Perrault, avec Louise Lagrange (Cendrillon), Jacques Feyder (le prince), Georges Méliès (le messager du prince), Marthe Lagrange, Armand Bernard.
Méliès a tourne une première version de Cendrillon en 1899. En 1912, c'est sous la commandite de Pathé qu'il se penche une seconde fois sur le conte et livre une féérie de vingt-quatre minutes tournée dans le studio B. Le film a été remonté par Ferdinand Zecca qui en changea le montage, comme l'atteste l'une des copies retrouvée au Canada lors de la restauration de ce film.
Restaurations menées en 2020 par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé d’après les négatifs nitrate issus de ses collections, conservés dans les collections de la Cinémathèque française. Pour chacun des films, le carton-titre et les intertitres ont été reconstitués à l’aide du scénario et d’une copie conservée par La Cinémathèque française. Les travaux 4K ont été réalisés par L’Image Retrouvée, Paris-Bologne.
Restauration menée en 2021 par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé d’après le négatif nitrate issu des collections de la Cinémathèque française. Le carton-titre et les intertitres ont été reconstitués à l’aide du scénario et d’une copie conservée par La Cinémathèque française. Les travaux 4K ont été réalisés par L’Image Retrouvée, Paris-Bologne.
Accompagnement au piano par Lawrence Lehérissey.
Les Hallucinations du Baron de Münchausen, 1911, 13 min.
Cendrillon ou la Pantoufle merveilleuse, 1912, 33 min. (en partenariat avec La Cinémathèque française)
Le Chevalier des neiges, 1913, 21 min. (avec le soutien du CNC)
Le réalisateur Henri Desfontaines, opérateur de prises de vues pour la Section cinématographique de l’armée pendant la guerre, est surtout connu pour ses productions hybrides mêlant documentaire et fiction. Il s’exerce pour la première fois au film à épisodes en 1927.
Poursuivant la tradition romancière du XIXe siècle, le récit paraît dans le quotidien Le Petit Parisien. Pathé sort simultanément le film sur les écrans, selon un procédé marketing bien établi. La stratégie est aisée à appliquer : le directeur du Petit Parisien, Jean Sapène, est aussi à la tête des Cinéromans, qui ne travaille plus que pour Pathé. Ajoutons que René Navarre (Chantecoq) qui incarna Fantômas, Mandrin, Vidocq à l’écran, fut avec Bernède l’un des fondateurs des Cinéromans en 1919.
Cette rocambolesque intrigue policière se déroule pour la première fois au cinéma au sein même du musée du Louvre. Une nuit, dans la salle des dieux barbares, Belphégor est surpris par le gardien du musée ; la nuit suivante, le gardien-chef est tué ; enfin, un journaliste est attaqué. Qui est ce fantôme assassin ? Le journaliste Bellegarde, l’inspecteur Ménardier et le célèbre détective Chantecoq mènent l’enquête.
Très attendu, le film reçoit un fervent succès public et critique. Paris est filmé en décors naturels, au Louvre pour certaines scènes. Elle crée un mystérieux « lien patrimonial » entre les enquêteurs et les ancestraux dieux Moabites. Desfontaines mêlait déjà le passé au présent dans Le Roman de la momie (1911). Belphégor suit surtout la veine du Phantom of the Opera réalisé en 1925 par Rupert Julian. Comme le personnage incarné par Lon Chaney, la silhouette du fantôme évoluant dans les souterrains du Louvre impressionna les spectateurs.
Le film a été restauré en 4K, avec le soutien du CNC, à partir du négatif original Pathé complété d’un internégatif. Travaux menés en 2021 par l’Image Retrouvée (Paris-Bologne).
Musique originale composée par Benjamin Moussay et enregistrée au Studio L.E. Diapason par Léon Rousseau
Interprétée par Vincent Courtois (cello) ; Arnault Cuisinier (contrebasse) ; Michel Godard (tuba, serpent) ; Marie Gondot (basson) ; Denis Leloup (trombone) ; Sylvain Lemêtre (percussion) ; Joce Mienniel (flûtes) ; Benjamin Moussay (piano) ; Frédéric Norel (violon) ; Guillaume Roy (alto) ; Louis Sclavis (clarinettes) ; Chanson interprétée par Bertrand Belin
Belphégor (Henri Desfontaines) © 1927 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
L’Honneur d’une japonaise, 1914, 19’
La Petite Geisha, Kaï Hansen, 1913, 33’
Une nuit terrifiante, 1913, 18’
Le Mystère de la rue Donskaya, Kaï Hansen, 1913, 34’
Le cinématographe perce dès 1896 en Russie avec l’arrivée des équipes d’opérateurs des frères Lumière envoyées sur le territoire pour documenter l’exotisme de cette terre lointaine et informer la population de l’hexagone de l’actualité politique du pays. En août 1902, grâce à l’appui des banques françaises, le conseil d’administration de la société Pathé prévoit de s’installer à son tour en Russie. L’année suivante, à la foire de de Nijni-Novgorod, les films Pathé reçoivent un fort succès. En 1904, la firme décide d’ouvrir une succursale à Moscou, puis à Saint-Pétersbourg l’année suivante. Jusqu’en 1907, quatre d’autres succursales de Pathé voient le jour à Odessa, Rostov-sur-le Don, Kiev et à Varsovie. Le marché russe est le plus important avec celui des Etats-Unis. Ainsi, en 1909 Pathé crée la marque « Le Film russe », transforme la succursale moscovite en une production locale, dotée d’un studio. Cette mutation permet le lancement de jeunes réalisateurs.
Les films sont tournés en Russie et interprétés par des acteurs russes qui se distinguent par le jeu très influencé par le Théâtre d’Art de Moscou. Les bandes sont tirées sur place dans les ateliers Pathé. C’est néanmoins une équipe française, avec à sa tête Maurice-André Maître, qui est envoyée sur le territoire pour les premiers tournages. Le chef opérateur allemand Joseph Mundviller, connu sous le nom de Meyer, assure les prises de vues, et Kai Hansen ne tarde pas à s’associer puis à succéder à Maurice-André Maître dans la réalisation des films. Sur place, les réalisateurs Vassili Gontcharov, Iakov Protazanov et Evgueni Bauer sont aussi engagés pour assister les metteurs en scène français, en écrivant les scénarios et en tournant même parfois eux-mêmes les films. Peter Bagrov et Anna Kovalova ont ainsi récemment démontré que L’Honneur d’une japonaise et La Petite Geisha ont vraisemblablement été réalisés par Yakov Protazanov plutôt que par Kaï Hansen. Les scènes d’extérieur sont tournées dans des paysages authentiques et les décors en studio sont dus à de grands noms russes du théâtre d’art, comme Alexei Outkine et Cheslav Sabinsky, qui confirment enfin la haute tenue artistique de ces productions.
L’Honneur d’une japonaise et La Petite Geisha constituent les seuls témoignages du jeu de la danseuse et comédienne Ohta Hisa, connue sous le nom d’Hanako, dont peu de photographies subsistent par ailleurs. L’engouement pour la Japonaise est plus ancien que la réalisation des films. « She is like a kitten, whose every movement is a success”, soulignait le New York Time du 27 octobre 1907. Elle fut d’abord remarquée par Loïe Fuller qui établit pour elle un répertoire de pièces « avec suicide ». Les journaux européens et américains, notamment français quand elle jouait La Martyre au Théâtre Moderne à Paris, décrivent ses scènes de hara-kiri, ainsi que l’expressivité de son visage jouant l’amour et la jalousie. Alors que l’Europe découvrait le théâtre kabuki, le style d’Hanako fascina une première fois la France en 1906 (Rodin, qui la rencontra alors à Marseille, en fit un modèle) et elle y revint pour une tournée dans les années 10. Son amitié avec l’épouse d’Albert Carré, directeur de l’Opéra-Comique et cousin de Michel Carré, réalisateur à la SCAGL, lui offrit la possibilité de donner plusieurs performances de Madame Butterfly, qui a pu inspirer l’adaptation de La Petite Geisha à l’écran. A Moscou en 1912-1913, elle se produit devant les élèves du Théâtre d’Art et son jeu raffiné suscite les éloges de Nicolaï Evreinov et de Vsevolod Meyerhold.
Restaurations 4K réalisées en 2021 à L’Image Retrouvée par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé et La Cinémathèque française, avec le soutien du CNC. Restauration à partir des négatifs originaux Pathé. Le montage et les intertitres ont été reconstitués d’après les scénarios originaux, les informations portées sur la pellicule, et des copies Film russe de référence. Les teintes d’Une nuit terrifiante ont été recréées d’après la copie de La Cineteca de Rome qui a servi de référence.
Musique composée par Stephan Oliva, avec Stephan Oliva (piano), Guillaume Roy (violon alto), Atsushi Sakaï (violoncelle). Enregistrement et mixage par Léon Rousseau (L.E. Diapason).
L’Honneur d’une japonaise © 1914 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
La Petite Geisha (Kaï Hansen) © 1913 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
Une nuit terrifiante © 1913 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
Le Mystère de la rue Donskaya, Kaï Hansen © 1913 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé - Cinémathèque française
Les Précieuses ridicules, Georges Berr, 1909, 12 min
Le Barbier de Séville, Georges Berr, 1910, 13 min
La relation théâtre-cinéma obéit à une stratégie de légitimation du cinéma, qui se concrétise en 1908 avec la création du Film d’Art et de la Société cinématographique des Auteurs et gens de lettres, deux maisons de production satellites de Pathé spécialisées dans l’adaptation. De son côté, la Comédie-Française renouvelle son répertoire avec des spectacles plus populaires, afin d’attirer un public varié et pallier la concurrence du cinéma qui constitue alors le nouveau divertissement.
La circulation entre les deux arts s’exprime aussi par l’emploi des comédiens. Les acteurs de la Comédie-Française se sont très tôt intéressés au cinéma, pour se faire connaître du grand public et pour compléter leurs cachets. C’est ainsi que plusieurs d’entre eux se retrouvent à l’affiche des premiers films Pathé, accompagnant souvent d’autres noms issus de métiers du théâtre, tels que les metteurs en scène, mais aussi les décorateurs et les costumiers. Parallèlement au théâtre, leur expérience cinématographique leur permet d’apporter un jeu plus moderne et un souffle nouveau.
Sociétaire de la Comédie-Française et auteur de nombreuses pièces de théâtre, Georges Berr est un bon représentant de ce passage de la scène à l’écran. En 1909, et âgé de 43 ans, il tourne Les Précieuses ridicules, célèbre comédie de Molière pour Le Film d’Art. Auteur du scénario du film, il tient également le rôle de Mascarille qu’il a maintes fois interprété à la Comédie-Française, dont il fut un « remarquable valet de comédie » selon l’historien Jacques Richard. Dans Le Barbier de Séville, dont il est également le réalisateur et auteur de l’adaptation, il incarne le rôle-titre de Figaro, l’un de ses rôles le plus notables.
Edité en décembre 1909, un mois après la présentation de L’Assassinat du duc de Guise à la salle Charras, Les Précieuses ridicules est la première pièce de Molière adaptée par le Film d’art. Avec Le Légataire universel (d’après J.-F. Regnard) sorti le même mois, le film est aussi l’une des premières comédies du catalogue de cette jeune maison de production.
Berr centre l’action sur les valets et choisit la scène la plus amusante de la pièce pour en faire la scène principale du film. Les effets comiques sont affaire de rythme entre des comédiens dont l’habitude de jouer ensemble palpite à l’écran. Leurs prouesses, pour notre plus grand amusement, battent en brèche l’idée que le jeu d’un sociétaire de la Comédie-Française serait emphatique et exagéré.
Le Barbier de Séville est l’un des textes les plus connus du répertoire français. Le texte fut adapté plusieurs fois à l’opéra, notamment dans la célèbre composition de Giovanni Rossini. Cette pièce a été aussi plusieurs fois adaptée à l’écran, notamment par Georges Méliès dès 1904. Dans « Rigadin, garçon de banque » (1912), Georges Monca fait encore allusion à la pièce. Jean Kemm en proposera une adaptation au cinéma sonore en 1933 puis Jean Loubignac en 1948.
La version qu’en donne Pathé est très fidèle au spectacle dramatique. Il respecte l’argument de la pièce et le découpage en tableaux reprend chacun des actes. Le comte d’Almaviva et son ancien valet devenu barbier, Figaro, font le guet sous le balcon de Rosine, à la séduisante pupille du docteur Bertholo. Le comte éprouve une vive tendresse pour la jeune fille, à laquelle il n’a jamais adressé la parole. Figaro promet à son ancien maître de l’aider pour servir ses projets amoureux. Rosine est détenue prisonnière chez Bertholo et il va falloir l’en délivrer.
La restauration du « Barbier de Séville » par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, en plus de permettre la préservation du négatif original, offrira au grand public une nouvelle vision de cette œuvre, avec les cartons reconstruits et un accompagnement musical au plus proche de l’original, et elle mettra également en lumière l’importante relation entre le théâtre et le cinéma.
Dans Les Précieuses ridicules, Georges Berr retrouve à l’écran trois autres pensionnaires de la Comédie-Française : André Brunot, et les deux talentueuses Béatrix Dussane et Jeanne Provost. Leurs noms sont inscrits sur l’affiche promotionnelle, comme un gage de qualité auprès du public.
Aux côtés de Berr dans Le Barbier de Séville, Jeanne Bertiny de la Comédie Française, son épouse à la ville, excelle dans le rôle de Rosine. Jean Périer de l’Opéra-Comique joue de son côté le comte Almaviva. Comme sur un programme de théâtre, le film met à l’honneur la troupe d’acteurs du Français. Il s’ouvre avec une galerie de portraits des acteurs et les présente un à un avec la mention de la scène théâtrale à laquelle ils se rattachent afin de valoriser leur contribution au nouvel art.
Les deux films ont été restaurés par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé en 2021 à partir des négatifs originaux conservés dans ses collections et déposés à la Cinémathèque française en 1951. Les cartons ont été reconstitués d’après les modèles Pathé d’époque et à l’aide des scénarios originaux déposés par Pathé. Les travaux 4K ont été menés au laboratoire l’Image retrouvée, avec le soutien du CNC.
Accompagnement au piano par Camille Taver, élève de la classe d’improvisation de Jean-François Zygel. Enregistrement et mixage par Léon Rousseau (L. E. Diapason).
Les Précieuses ridicules, Georges Berr © 1909 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Le Barbier de Séville, Georges Berr © 1910 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Tourné en 1914, La Jolie bretonne marque une transition entre les drames sociaux ou « Scène de la Vie Cruelle » comme désignés dans les catalogues Pathé, et les films patriotiques qui seront tournés par la société pendant la Première Guerre mondiale. Il met en scène Yvon Kermadec (René Alexandre), marin sur un torpilleur, et sa fiancée Anaïk (Gabrielle Robinne), qui attend patiemment le retour de son Bien aimé, sujet particulièrement contemporain pendant la guerre. Il est ainsi annonciateur de ces films montrant en parallèle le combat des hommes au front et l’attente des femmes à l’arrière. Bien que le film « La Jolie bretonne » n’évoque pas directement le conflit, il rappelle la situation éprouvée au déclenchement de la Première Guerre mondiale et résonne ainsi directement avec l’actualité. Dans une approche romantique, ces films tournés ou sortis pendant la Grande Guerre font écho à la situation vécue par de nombreux couples et constituent ainsi sur les écrans une résonnance ou une échappatoire.
Le couple Gabrielle Robinne et René Alexandre, jeunes mariés à la ville, excelle dans l’interprétation de cette « scène d’émotion et de tendresse » telle que décrite par la presse. Poursuivant comme d’autres une longue carrière à la fois théâtrale et cinématographique, ces deux jeunes vedettes de la Comédie-Française se retrouvèrent plusieurs fois au cinéma. Entrée à la Comédie-Française en 1907, Robinne tourne dès 1906 notamment chez Pathé dans Le Troubadour de Segundo de Chomon (1906), avant de participer à L'Assassinat du duc de Guise en 1908. Très reconnue pour sa photogénie et son élégance, elle tourna plus d’une centaine de films pour Pathé entre 1912 et 1920, et fut l’une des actrices les plus photographiées de son époque. De 1912 à 1914, elle joua aux côtés de son mari Alexandre dans une vingtaine de films de René Leprince, tel La Jolie bretonne (1914), pour lequel Leprince s’adjoint Ferdinand Zecca à la réalisation (comme c’est le cas pour Cœur de femme, La danse héroïque, La leçon du gouffre et Le roi de l’air en 1913). En 1914, René Alexandre, âgé de 29 ans, est mobilisé. Il part comme sergent au 67ème Régiment d’Infanterie dans l’est du pays. Il sera grièvement blessé en 1916.Très engagé, il écrivit même une chanson patriotique. Robinne de son côté devient aide-anesthésiste et infirmière.
Le décor naturel met à l’honneur les sites sauvages de la côte d’Emeraude et les Côtes d’Armor en Bretagne, comme de nombreux films de la période. Les paysages sont sublimés par le Pathécolor, marque désignant le procédé de coloriage mécanique mis en place chez Pathé dès 1903, et la très belle photographie signée Julien Ringel, chef opérateur engagé chez Pathé et que l’on retrouvera dans plusieurs productions des années 1910-1920, notamment le célèbre Belphégor.
Cette « comédie sentimentale aux péripéties émouvantes » joue aussi de l’opposition entre deux modèles, le monde artistique parisien incarné par le peintre Bernard Grandval (Jean Dax) et la vie paisible de la campagne bretonne traditionnelle, tension entre deux classes sociales exprimée par l’ambivalence entre la ville et la campagne, l’oisiveté et le labeur. La mise en scène de l’attraction vers un ailleurs et l’envie d’ascension sociale se retrouve dans de nombreux films de l’époque chez Pathé, notamment dans les drames sociaux adaptés du patrimoine littéraire français.
Dans l’attente du retour du marin, Anaïk fait la connaissance d’un peintre parisien et pose pour lui pendant tout l’été, afin de rembourser les dettes contractées pendant la maladie de ses parents. Un jour, le journal lui apprend l’accident du torpilleur sur lequel se trouve son fiancé. De désespoir, Anaïk trouve refuge auprès des Grandval et part vivre avec le peintre et sa fille à Versailles. Mais Yvon, seul survivant du naufrage, les retrouve, et vient déclarer son amour à la belle Anaïk.
Restauration 4K réalisée en 2021 par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé au laboratoire L’Image Retrouvée Paris-Bologne, avec le soutien du CNC, d’après le négatif original nitrate issu de ses collections. Les cartons ont été reconstitués à l’aide du scénario Pathé conservé à la Bibliothèque nationale de France et d’une copie Pathé Kok 28mm de l’Institut Jean Vigo.
Musique originale de Vincent Courtois interprétée par Vincent Courtois (violoncelle), Robin Fincker (clarinette et saxophone) et Janick Martin (accordéon).
Enregistrement et mixage au studio L.E. Diapason par Léon Rousseau.
La Jolie bretonne (Ferdinand Zecca et René Leprince) © 1914 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Réalisé en 1913 par Albert Capellani entre ses deux œuvres majestueuses Les Misérables (3440 m) et Germinal (3020 m), ce film d’un métrage plus modeste (1130 m) n’a été montré qu’une seule fois en 2013 à la Cinémathèque française. La nouvelle restauration de cette œuvre par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé à partir du négatif original du film permet de redécouvrir cette adaptation du roman social d’Alphonse Daudet. Albert Capellani, un des réalisateurs les plus importants de Pathé, a été engagé dès 1905 par la firme au coq. Trois ans plus tard, il est nommé directeur artistique de la Société cinématographique des auteurs et gens de lettres, maison de production spécialisée dans l’adaptation.
En portant à l’écran des œuvres réalistes, le réalisateur exploite abondamment le tournage en extérieurs, en favorisant les lieux mêmes de l’action. Il amorce un jeu plus naturel avec ses acteurs venus le plus souvent de la scène théâtrale. Ici Léon Bernard, sociétaire de la Comédie-Française formé par Antoine au Théâtre-Libre, porte le film. L'ouvrier forgeron subvient aux besoins de la famille, son frère cadet et sa mère. Le cadet part à Paris trouver un emploi et se laisse griser par la capitale. L’aîné part alors faire fortune dans le Sud-Africain et en revient en « nabab ». Comme dans le roman de Daudet, l’auteur du scénario Jean-José Frappa insiste sur la description typologique des milieux sociaux dans lesquels évoluent le nabab et son frère, montrant à la fois le labeur à la taillerie de pierres, les champs, le port de pêche où Albert Capellani lui-même interprète brièvement le rôle d’un capitaine de bateau ; en opposition à l’oisiveté des lieux d’attractions parisiens qui causent la perte du frère cadet, avec les salles de bal et les restaurants. Le Moulin Rouge, le Grand Palais, le pont Notre-Dame, la porte Saint-Martin, ou encore la Madeleine défilent ainsi sous nos yeux, dans une succession de décors somptueux soulignant l’opposition entre la ville et la campagne.
Restauré en 4K en 2021 par la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé, au laboratoire L’Image Retrouvée Paris-Bologne avec le soutien du Centre national du cinéma et de l’image animée.
Musique originale composée et interprétée par Bruno Angelini (piano), Vincent Courtois (violoncelle) et Catherine Delaunay (clarinette)
Le Nabab (Albert Capellani) © 1913 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
De la prolifique production de films réalisés en Inde pendant la période du muet, et dont une grande majorité a malheureusement disparu, nous est miraculeusement parvenu Béhula, fiction tournée par Camille Legrand en Inde en 1921 pour les studios Madan Theatres Ldt, lesquels dominent à l’époque le paysage cinématographique indien en réunissant les activités de production, de distribution et d’exploitation. Opérateur pour Pathé de 1905 à 1920, « l’infatigable cinématographiste » comme le surnomme Jitka de Préval qui lui a récemment consacré une éclairante monographie, connaît parfaitement l’Inde pour y avoir effectué plusieurs longs séjours. En 1921, Legrand quitte Pathé et s’associe avec J.F. Madan, propriétaire des théâtres et studio du même nom, pour le compte duquel il réalisera à Calcutta au moins cinq films, soit seul, soit en collaboration avec le réalisateur bengali Jyotish Banerjee.
Pour Béhula, adapté d’une légende bengalie tirée du Manasa mangala, le cycle épique dédié à la déesse des serpents Manasa, il fait appel pour le rôle-titre à l’une des vedettes anglo-indiennes des studios Madan, Patience Copper. Née à Calcutta en 1905 d’une famille issue de la diaspora juive irakienne, l’aînée et de loin la plus connue des « Cooper sisters » (Patience, Violet et Pearl) fit ses débuts comme danseuse au théâtre, et fut rapidement repérée par le studio de Calcutta. Figure, aux côtés de Ruby Meyers (aka Sulochana), de cette génération d’actrices anglo-indiennes, ces « modern girls » qu’une éducation plus européenne et une pâle complexion rendront très attractive pour le premier cinéma indien, Patience Cooper apparaîtra dans trois des cinq films signés par Legrand.
Le tournage en plein air restitue le film dans son contexte de production, avec le vacillement des décors de carton-pâte animés par le vent et la présence impromptue de passants s’immisçant dans la diégèse. Le film prend pour trame la rivalité qui oppose les déesses Chandi, épouse du dieu Shiva, et Manasa, fille de ce dernier. Ces tensions se cristallisent autour d’un riche marchand, Chand Sadagar, époux de Sanaka et fidèle dévot de Candi, que Manasa tente d’attirer à elle. Devant le rejet de Chand Sadagar, Manasa condamnera son fils aîné, Lakhindar, à périr la nuit de ses noces avec la très belle Behula. Lorsque Behula découvre au matin le corps inanimé de son époux mordu par un serpent, elle décide d’entamer un long voyage en bateau sur le Gange jusqu’à ce qu’elle parvienne à le ramener à la vie.
Rapporté en France par Legrand, le négatif, qui séduit tant pour ses décors chatoyants hérités du théâtre parsi que pour ses effets spéciaux (surimpressions, pellicule grattée) a miraculeusement survécu dans un excellent état de conservation dans les collections de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé déposées au CNC. La restauration 4K a été menée en 2022 au laboratoire l’Image retrouvée.
Musique originale par Keyvan Chemirani, interprétée par Keyvan Chemirani (percussion, santour indien, udu, Persian zarb), Benjamin Moussay (piano), Sylvain Barou (flûte Bansuri, Armenia duduk), Michel Guay (cithare, tanpura) et enregistrée au studio L.E. Diapason par Léon Rousseau.
Béhula (Camille Legrand) © 1921 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Adaptation en quatre épisodes du roman le plus célèbre de Victor Hugo, Les Misérables (1912) d'Albert Capellani est une œuvre exceptionnelle. Paru en 1862, puis en feuilleton dans la presse, le roman, qui est aussi un brulot social, fut un succès populaire sans précédent. Il rencontra un large succès auprès des ouvriers. Cette vaste fresque sociale et historique offre une peinture très précise de la vie dans la France du début du XIXe siècle. Par le prisme du destin du bagnard Jean Valjean, Hugo analyse la nature humaine et dénonce la condition des plus pauvres. L’intérêt politique et populaire de ce texte donna lieu à de nombreuses adaptations. Dès 1907, Capellani se focalisa sur un épisode avec la réalisation du Chemineau. La même année, Alice Guy réalisa de son côté On the Barricade aux Etats-Unis. Les Misérables de 1912 en est la première adaptation en format long (3445 mètres, soit 2h40 de film), ouvrant la voie aux adaptations futures (Henri Fescourt, 1925 ; Raymond Bernard 1934 ; Jean-Paul Le Chanois, 1958…).
Donnant le ton naturaliste aux productions de la Société cinématographique des auteurs et gens de lettres (SCAGL) qu’il dirige en tant que directeur artistique depuis sa création, Capellani recourt majoritairement aux décors naturels, le studio de Vincennes n’étant mobilisé que pour les importantes reconstitutions. Les rues pavées de Paris et le cadre champêtre de la banlieue parisienne confèrent au film un puissant effet de réel. Pour les constructions des décors en studio, Henri Ménessier s'est appuyé sur les recherches documentaires du jeune Pierre Trimbach, alors assistant opérateur chez Pathé, afin d’être au plus près de la réalité. Les costumes et le maquillage montrent aussi le soin apporté à la reconstruction. Cette importante production de la SCAGL réunit les grandes vedettes de la scène théâtrale, notamment Henry Krauss dans le rôle de Jean Valjean ; ainsi que Mistinguett (Eponine) employée ici à contre-emploi. Le naturel de leur jeu très moderne s'ajoute la présence de figurants et acteurs non professionnels réunis notamment dans les scènes de foule. La scène des barricades rassemblant plus de quatre-vingt-dix figurants qui interprètent les soldats est à ce titre saisissante.
Le film sort en quatre volets en novembre 1912, à raison d’un épisode par semaine, chacun consacré à un personnage (Jean Valjean, Fantine, Cosette et enfin Cosette et Marius). Plusieurs unes de la presse spécialisée mettent à l'honneur les acteurs ou Victor Hugo lui-même dont le portrait est repris sur plusieurs affiches du film. L’auteur est alors, avec Louis Pasteur, le Français le plus « populaire ». Pathé déploie de son côté une importante publicité, en éditant un livret publicitaire abondamment illustré, ainsi que la liste de l’ensemble de la distribution. Le tout premier numéro imprimé du Pathé-Journal est par ailleurs entièrement dédié au film. Aux Etats-Unis, où le film est distribué par Eclectic, une marque américaine de Pathé, la critique est aussi dithyrambique. C'est notamment grâce au succès de ce film que Capellani pourra se faire une place dans l'industrie cinématographique américaine un an plus tard, quittant la France en guerre pour poursuivre sa carrière de l'autre côté de l'Atlantique.
La restauration de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a été réalisée en 2022 à partir d’une copie originale nitrate teintée et virée conservée dans ses collections. Travaux 4K menés au laboratoire L’Image Retrouvée, avec le soutien du CNC.
Musique originale par Gabriel Thibaudeau (piano) et Silvia Mandolini (violoncelle) enregistrée au studio L.E. Diapason par Léon Rousseau.
Les Misérables (Albert Capellani) © 1912 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Corso tragique est tourné à l’été 1908 à Nice, où Pathé tourne de manière saisonnière depuis 1905, avant de créer sa propre marque Comica et Nizza en au début des années 1910. Capellani opère ainsi un déplacement vers le sud, loin des studios de Vincennes, un mois avant le tournage à Arles de L’Arlésienne, sa première réalisation pour la SCAGL. Il profite du carnaval de Nice pour intégrer cet événement à sa fiction et donne ainsi à son film un caractère documentaire. Dans la veine des films régionaux en costumes, le film se déroule sur le port de Nice. Une écaillère, interprétée par Renée Doux – femme de Ferdinand Zecca – propose des huitres, des oursins et des moules sur son étal avant d’aller retrouver celui qui devrait devenir son fiancé. Se voyant refuser sa main, elle s’en plaint à ses frères. Comme dans une vendetta, les frères de la jeune fille vengent son honneur. Ils suivent le jeune officier qui prend part aux divertissements du Carnaval de Nice avec quelques amis. Tout le monde est déguisé et la jeune écaillère parvient ainsi à entrainer le jeune officier à l’écart pour que ses deux frères le poignardent avant de le ramener chez son père.
Le film annonce les films dramatiques à caractère social poignant qui se développeront à partir de 1908 avec la création de la SCAGL, société spécialisée dans l’adaptation du patrimoine littéraire à l’écran, dont Capellani est nommé directeur artistique dès sa création. Le metteur en scène avait déjà montré son intérêt pour le drame naturaliste avec sa première réalisation, Le Chemineau, tourné en extérieur dès 1905. A la SCAGL, il met en application le tournage en extérieur et systématise sa pratique avec les œuvres magistrales qui marquèrent leur époque, Les Misérables (1913), Quatre-vingt-treize (1914-1921), Germinal (1913). Le cinéaste apporte en effet une méthode et un regard nouveaux sur la production cinématographique d’avant-guerre. En adaptant des œuvres du patrimoine littéraire français à caractère réaliste, il tourne le plus souvent in situ, dans les lieux mêmes de l’action, et amorce un jeu plus naturel avec des acteurs venus de la scène théâtrale. Il anticipe le naturalisme quasi documentaire qui sera la marque de fabrique de son successeur André Antoine.
L’histoire terrible de Corso Tragique est tirée d’une pièce de Charles Méré, Les Trois masques, portée plusieurs fois à la scène et qui reçut un grand succès. Le plagiat du texte original de Méré est au cœur des débats dans la presse à la sortie du film en septembre 1908. Dans le journal Comœdia on explique que Pathé a accusé le théâtre Mévisto de plagier son film avec la pièce de théâtre Les Trois masques de Méré représentée quelques mois après la sortie du film. En effet, la pièce est un grand succès et copie de très près le film dont le scénario a été déposé par Pathé dès 20 janvier 1908. Mais en fait, l’article explique que la pièce de Méré fut représentée dès décembre 1906 sous un autre titre, Una Farsa, et que c’est ce texte original qui a lui-même inspiré Pathé et Capellani dans la réalisation de Corso tragique. Ainsi, en voulant accuser Méré et le Théâtre Mévisto de plagiat, Pathé s’est fourvoyé dans son propre plagiat. La maison de production et d’édition fut ainsi assignée à retirer son film des écrans et à régler une amende de 5000 francs de dommages et intérêts à Méré. Sujet très connu, la pièce de Méré fut encore portée par deux fois au cinéma au temps du muet, par Henry Krauss en 1921 et par André Hugon en 1929. Corso tragique de Capellani reste pourtant peu connu..
La restauration de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé a été réalisée en 2023 à partir du négatif original nitrate conservé dans ses collections. Travaux 4K menés au laboratoire L’Image Retrouvée, avec le soutien du CNC.
Musique originale par Emmanuel Birnbaum (piano) enregistrée au studio L.E. Diapason par Léon Rousseau.
Corso Tragique (Albert Capellani) © 1908 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Celles qui s’en font, 1930, 8 min.
Ceux qui ne s’en font pas, 1930, 8 min.
Un peu de rêve sur le faubourg, 1930, 11 min.
Un projet novateur de Germaine Dulac en co-production avec la maison de disques Columbia et Pathé. Les films illustrent des chansons populaires éditées sur disques, tels des clips musicaux, dans la tradition de la « chanson illustrée ».
Le programme de « Disques illustrés » comprend à l’origine six films :
Chacun des films met en scène deux chansons populaires éditées sur disques 78 tours par Columbia, mais aussi par d’autres éditeurs comme Parlophone, Pathé et Odéon. Dulac avait prévu de travailler avec des disques Columbia à paraître, mais comme ils n'étaient pas tous sortis à temps, elle dut se replier sur d'autres versions déjà éditées dans d'autres maisons de disques.
Journaliste, théoricienne du cinéma, réalisatrice, productrice et féministe, Germaine Dulac fait partie des pionnières du cinéma. Issue d’une famille aisée, investie en politique, entrepreneuse, Dulac fait figure de femme forte qui défend ses idées et les exprime dans ses articles comme dans ses films. Homosexuelle revendiquée, elle contribua à une histoire et une théorie du cinéma fermement féministe. Au sein de la Société des nations, elle s’investit dans le mouvement du progrès féminin pour les droits des femmes.
En 1917, elle réalise son premier film Sœurs ennemies, édité par Pathé (elle a 35 ans). Après ses films d’avant-garde comme La Fête espagnole (1920), La Souriante Madame Beudet (1923), Dulac tourne des films plus narratifs édités par Pathé Consortium Cinéma : Âme d’artiste (1925), Antoinette Sabrier (1928), Le Diable dans la ville (1925) et la série Gossette (1924).
En 1928, elle se penche sur la mise en image de compositions classiques avec deux films expérimentaux : Disques 957 sur les préludes de Chopin et Etude cinématographique sur une arabesque sur les arabesques de Debussy. Musicienne, elle n’hésite pas à utiliser le champ lexical de la musique pour parler de cinéma. Selon elle, le film doit être une symphonie visuelle.
En 1930, elle n’en est donc pas à son premier coup d’essai. Chacun des films du corpus « disques illustrés » met en image deux disques :
- Celles qui s’en font : « A la dérive » interprétée par Germaine Lix et « Toute seule » interprétée par Fréhel.
- Ceux qui ne s’en font pas : « Si j’étais chef de gare » et le célèbre « Sur le pont d’Avignon »
- Un peu de rêve sur le faubourg « Paysage » et « Heure Exquise » de Reynaldo Hahn, avec en intermède les préludes de l’opéra « Louise »
Les restaurations de la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé ont été réalisées en 2023 à partir des négatifs originaux nitrate conservés dans ses collections. Travaux 4K menés au laboratoire L’Image Retrouvée, avec le soutien du CNC.
Disques originaux issus des collections de la Bibliothèque nationale de France restaurés et synchronisés par Léon Rousseau (studio L.E. Diapason).
Celles qui s’en font (Germaine Dulac) © 1930 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Ceux qui ne s’en font pas (Germaine Dulac) © 1930 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
Un peu de rêve sur le faubourg (Germaine Dulac) © 1930 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé
L’Étoile du génie s’inscrit dans une redécouverte du mélodrame des années 1910 qui situe le conte moderne dans un milieu artistique, ce qui fera aussi le succès des films de dive à la croisée des arts en Italie. Ce « « drame artistique de la vie cruelle » en 3 parties met en scène le compositeur Signoski (Gabriel Signoret), désemparé face à l’échec de sa dernière composition. Il croise la route d’une pauvre jeune femme qu’il recueille avant d’en tomber amoureux. Inspiré par elle, il crée un chef-d’œuvre qui triomphe magnifiquement. La danseuse Stacia (Stacia Napierkowska), grisée par le succès, car elle est devenue l’idole du public, part ; et Signoski, à moitié fou, lutte en vain contre le désespoir qui s’empare de lui jusqu’à ce que Stacia revienne faire briller l’étoile du génie, revisitant le mythe de Pygmalion. Tourné dans Paris, le film livre une belle illustration de la capitale et de ses attractions. L’univers artistique est partout présent dans le film, qui fait de l’envers du décor théâtral le lieu du drame de ses personnages, et nous ouvre à cette occasion les coulisses du Théâtre des Champs Elysées, avenue Montaigne. La mise en abîme de la création scénique est soulignée plus encore par la danseuse qui y interprète son propre rôle : celui de « Stacia ».
Initialement écrit sous le titre L’Inspiration brisée, L’Étoile du génie est l’une des réalisations du duo de réalisateurs-scénaristes Ferdinand Zecca et René Leprince, très actifs chez Pathé dans les années 1910, avec près d’une dizaine de titres produits entre 1912 et 1914 (parmi lesquels les bien connus et remarqués La Fièvre de l’or (1912), Cœur de femme (1913), La Lutte pour la vie (1914), La Danse héroïque (1914), ou encore La Jolie bretonne, 1914). Ferdinand Zecca est le directeur artistique de la maison Pathé depuis 1901. Leprince de son côté débute chez Pathé comme comédien au début des années dix. Comme d’autres acteurs de l’époque, sa carrière évolue rapidement vers la mise en scène. Avec le soutien de Zecca, il tourne les films les plus importants de la période d’avant-guerre chez Pathé, drames sentimentaux, de la vie moderne, à la réalisation soignée et très artistique. Pour plusieurs de ces films en effet, le duo emprunte des talents aux autres arts tel que le théâtre, l’opéra et la danse, comme c’est le cas avec la célèbre danseuse Stacia Napierkowska dans L’Étoile du génie.
Fille d’un exilé polonais et d’une mère française, Stacia de son vrai prénom Renée, grandit en Turquie. Elle commença comme élève de Madame Mariquita et fut admise au corps de ballet de l’Opéra-comique. C’est Mistinguett qui l’invita à faire du cinéma, dans L’Empreinte (1908). Parallèlement, elle continuait d’enchaîner les grands succès sur les scènes de l’Opéra-comique et des Folies-Bergères. A l’Odéon aussi, André Antoine lui confia un tableau dansé dans Antar en 1910 et dans Les Trois sultanes de Favart. Au cinéma, c’est pour ses charmes de l’Orient qu’on l’engage, son corps sublimant les intermèdes dansés très en vogue dans les films des années 1910. On la retrouve ainsi dans Cléopâtre, ou encore dans le rôle d’Esmeralda dans Notre Dame de Paris d’Albert Capellani (1911). Elle voyage à New York où elle interprète à nouveau un ballet oriental jugé alors osé par la presse, La Captive, et revient à Paris pour le tournage de L’Étoile du génie. Au déclenchement de la Première Guerre mondiale, elle rejoint Rome où elle joue pour le Film d’Arte Italiana. Elle n’y reste que peu de temps et rentre à Paris jouer dans le célèbre Vampires de Feuillade. Elle renouvelle encore son style en jouant dans les films d’avant-garde de Germaine Dulac et dans L’Atlantide (1921) de Jacques Feyder. En 1927, elle décide d’abandonner le cinéma et la danse pour se consacrer à la peinture et à la sculpture.
Restauration 4K menée en 2023 avec le soutien du CNC au laboratoire L’Image Retrouvée (Paris-Bologne) à partir du négatif original du film. Les cartons ont été reconstitués à l’aide du scénario Pathé conservé à la Bibliothèque nationale de France, sur le modèle d’une copie d’époque.
Musique originale par Emmanuel Birnbaum (piano) enregistrée au studio L.E. Diapason par Léon Rousseau.
L’Étoile du Génie (Ferdinand Zecca et René Leprince) © 1914 - Fondation Jérôme Seydoux-Pathé