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FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ

Cycle

Harry Langdon, le somnambule

Du  22/02/23  au  21/03/23 



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L'âge d'or du burlesque a fait des victimes. Et pour un Buster Keaton sauvé in extremis à la fin de sa vie, et pour un Chaplin glorieux jusqu'au bout de la sienne, et pour un Laurel et un Hardy épargnés par l'amnésique postérité, on compte les cadavres. Cet âge d'or fut bref, tout au plus une dizaine d'années jusqu'à l'arrivée du cinéma parlant, et Harry Langdon est mort en 1944 d'une hémorragie cérébrale, à 60 ans, vraiment oublié de tous, pendant le tournage d'un film lui-même disparu des souvenirs. Il a laissé un fils mais pas de mémoires, un texte et quelques traces dans les autobiographies des autres. Et des films. Et dans ces films une présence, au moins aussi étrange que comique. Une musique flottante de gestes suspendus et bégayants, une absence à soi-même, un visage comme un morceau de lune, un masque. Ça, on ne peut pas l'oublier.


Rien que sa carrière est une tristesse. Langdon est le fils d'un officier de l'Armée du Salut, il monte sur les planches à dix ans, à la fin du 19ème siècle, et tourne dans les cirques ambulants, les spectacles de vaudeville, les « medicine shows » où des charlatans vendent des potions miracle, comme dans les westerns. Sa maigre gloire, il la doit à un sketch, « Johnny's new car », grâce auquel il vivote des années. Il commence le cinéma en 1923, plait à Mack Sennett, l'empereur du cinéma comique, tient la vedette de quelques courts métrages et fonde sa propre maison de production. Son premier long métrage, Tramp Tramp Tramp (1926, avec Joan Crawford en vedette féminine), écrit par un jeune gagman nommé Frank Capra, est un succès, confirmé par les deux films suivants réalisés par le même Capra, The Strong Man (1926) et Long Pants (1927). Langdon est alors l'égal des plus grandes vedettes, Chaplin, Lloyd, Keaton. Il touche $ 7 500 par semaine, c'est-à-dire une fortune. Tout cela dure deux, trois ans tout au plus. On a dit que son désir d'indépendance, son ambition toute neuve, lui ont été fatale. Le premier film qu'il tourne dans son coin, Three's a Crowd (1927), est un échec commercial. C'est pourtant un film étonnant, les dernières bobines sont magnifiques. Mais c'est fini, Langdon est fini, à peine arrivé il est fini, il n'intéresse plus personne, il ne sait pas réaliser un film de toute façon : Capra, viré du plateau sur le tournage de Long Pants, que Langdon achève seul, dira que le petit comique de l'Iowa, qui évidemment lui devait tout, avait pris la grosse tête, qu'il n'avait même pas compris et donc su exploiter ce qu'il y avait de drôle chez lui, qu'il ne connaissait rien à la mise en scène, etc. Le parlant arrive, Harry n'est pas drôle quand il parle, il traine dans des deux bobines, retrouve un peu de travail grâce à Laurel & Hardy dont il fut le coscénariste et se trouve même partenaire à l'écran du seul Oliver Hardy dans Zenobia (1938). Trop tard, l'âge d'or est terminé depuis longtemps, et Harry Langdon meurt comme il a le plus fait rire : en silence.


Mais son visage, sa présence, ses gestes, on ne peut pas les oublier. Ce quadragénaire, avec son air de petit enfant ou d'éternel jeune puceau, s'est fabriqué un monde qui lui ressemble et qu'il contamine de sa lenteur, de son onirisme, de son malaise aussi. Un monde empli de hasards objectifs que la vie sème au-devant de lui comme des peaux de bananes, auxquels il répond en jetant des gags purs, poétiques, gratuits : il souffle sur sa lampe à pétrole dans une rue enneigée et ce sont tous les réverbères de la ville qui s'éteignent. Les surréalistes aimaient Harry Langdon, et pas seulement parce que l'une de ses plus célèbres scènes est un rêve de meurtre (dans Long Pants). Même si à l'occasion on y saccage un décor, une maison, on ne trouve guère dans ses films de la frénésie si prisée de son mentor Mack Sennett. Langdon n'a rien d'un athlète, d'un acrobate ou d'un danseur. Il n'épate personne par ses prouesses physiques et ses mimiques toujours avortées sont parfois presque déplaisantes tellement elles durent. Non, le comique langdonien vient d'ailleurs, tombé du lit, du nid ou du ciel. Il a toujours l'air de s'être réveillé il y a un instant et à grand peine, il commence même certains films endormis et, quand il ne peut se dépêtrer d'une situation accablante, il se met à rêver comme on fait des bulles. C'est drôle, mais pas seulement. La certitude d'avoir affaire à une créature à part est tenace. Son visage blanc est un mystère qui renvoie à d'autres mystères. Il est presque difficile de trouver sa place de spectateur devant ses films car, somnambule assurément, Harry Langdon vit dans un songe et on ose à peine le réveiller.


Jean-Philippe Tessé


Les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP).




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