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FONDATION JÉRÔME SEYDOUX-PATHÉ

CYCLES

Toute la mémoire du monde : Mary Pickford

Du  04/03/20  au  08/03/20 


Comment une petite canadienne nommée Gladys Smith est-elle devenue « la petite fiancée de l’Amérique » ? L’histoire de Mary Pickford ressemble au scénario de l’un de ces mélodrames sociaux qu’elle a produits au sein de la United Artists. D’emblée, la vie se montre impitoyable avec elle : « Je n’ai pas eu d’enfance. Dès l’âge de cinq ans, lorsque la mort de mon père a obligé toute la famille à gagner son pain, la vie n’a été qu’une succession d’emplois. » Devenue un soutien pour ses proches, elle s’épuise dans d’harassantes tournées théâtrales provinciales, quand à quinze ans, elle décroche enfin un rôle à Broadway.


Mais le vrai tournant survient en 1909, lorsqu’elle est embauchée à la Biograph par D.W. Griffith en personne. D’instinct, Mary sait apprivoiser la caméra. Avant même que les producteurs n’acceptent de faire la promotion de leurs acteurs, elle est l’une des premières stars de l’écran, la plus grande de son époque. En 1914, elle tourne ses premiers longs métrages, mais réalise vite qu’il lui faut prendre le contrôle : « Je dois être responsable de l’ensemble de la production. Tant de choses peuvent anéantir une belle œuvre. Il faut même superviser le tirage et le développement. » Malgré la grande liberté artistique que lui offre Adolph Zukor à la Paramount, elle préfère participer en 1919 à la création de la United Artists avec Griffith, Charlie Chaplin, et son époux Douglas Fairbanks. Dès lors, elle est donc à la fois productrice et actrice principale de ses films, choisissant avec soin ses metteurs en scène et ses techniciens. Le producteur chevronné qu’est Samuel Goldwyn décèle chez elle « l’intelligence d’un capitaine d’industrie ». Son chef-opérateur, le grand Charles Rosher, qui reçoit le premier Oscar de sa catégorie en 1927, ne cache pas non plus son admiration : « elle connaissait tout ce qu’il fallait connaître pour réaliser un film. Elle pouvait tout faire – c’était une société cinématographique incarnée ». Au sommet de son art, elle possède tous les atouts pour passer derrière la caméra, mais elle s’y refuse, considérant qu’en tant qu’actrice principale et productrice, elle manque cruellement de temps.


Mary Pickford travaille avec les plus grands, Tourneur, DeMille, Lubitsch. Mais après avoir quitté le cinéma, elle empêche longtemps la projection de ses films, les jugeant ridicules aux yeux d’un public contemporain. L’importance de sa place de pionnière dans l’histoire du cinéma s’en trouve minorée pendant de longues années. La première grande rétrospective de ses films à la Cinémathèque française, en 1965, est pourtant un triomphe. Le public réalise alors que Mary Pickford n’était pas simplement une actrice costumée en fillette : elle savait utiliser son corps et son visage avec la virtuosité d’un Charlie Chaplin. De la comédie au drame, la variété de ses rôles est impressionnante : l’orpheline maltraitée dans La Petite Princesse (1917), la jeune américaine dans la tourmente de la Première Guerre mondiale dans La Petite Américaine (1917), la réfugiée belge dans Par l’entrée de service (1921), la paysanne italienne dans Le Signal de l’amour (1921), la chanteuse des rues espagnole dans Rosita (1923) ou encore le garçon manqué des bas quartiers dans La Petite Annie (1925)… George Cukor disait d’elle qu’elle avait inventé l’interprétation cinématographique. On ne peut rêver plus bel hommage.


Christine Leteux


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