La fascination des cinéastes pour l’univers du journalisme n’a cessé de croître jusqu’à devenir un genre cinématographique à part entière, particulièrement aux États-Unis. Toutefois, l’intérêt pour la figure du reporter, les mécanismes de l’enquête, la nature des liens tissés avec les autres pouvoirs, émerge dès la période du cinéma muet.
Déjà prospère avant-guerre, la presse écrite prend son essor pendant les années 1920. Le photojournalisme et la presse magazine illustrée se développent, notamment grâce à la transmission à distance de photographies par bélinogramme. Le public est abreuvé d’images et les actualités filmées rivalisent avec les récits de presse attractifs (Un siècle de journalisme). Tous deux nourrissent les esprits, rendent le monde plus intelligible, tout autant qu’ils orientent les opinions. En 1899, dans ses actualités reconstituées de L’Affaire Dreyfus qui a suscité de nombreuses controverses, Georges Méliès ne manque pas de faire figurer une bagarre entre journalistes dreyfusards et anti-dreyfusards.
Le cinéma interroge la personnalité et l’incorruptibilité du journaliste. Scrupuleux et intègre, il mène de bien meilleures enquêtes que la police (Jacques Bellegarde dans Belphégor, Rouletabille dans Le Mystère de la chambre jaune, Erik Brandt le journaliste vedette de Nedbrudte Nerver), ou de solides investigations sur les activités d’un banquier malhonnête (Il Supplizio dei leoni). Il peut néanmoins se laisser corrompre et manipuler (The Last Edition), ou se comporter comme un parfait opportuniste (Making a Living, Rigadin aux Balkans). Entre reporters, la rivalité est impitoyable et la pugnacité est d’autant plus élevée que l’on joue sa place à la rédaction (Mabel Normand dans The Floor Below, Anne Cornwall dans Hold Still) ou dans le cœur d’une femme (Buster Keaton dans The Cameraman). Approcher le sujet de son enquête nécessite une bonne dose de ruse et de témérité. Dans Kärlek och journalistik, une journaliste se fait embaucher comme domestique, alors que Little Moritz s’apprête à photographier un champion de force n’ayant aucune tendresse pour les reporters. Bien souvent, le journaliste est guidé par sa soif de justice, ou par ses convictions sociales et politiques, tout comme certains films s’inscrivent dans des spécificités nationales. Le héros de Das Abenteuer eines journalisten (Harry Piel, Allemagne, 1914) démantèle un réseau d’espionnage, alors que le trio de journalistes qui accompagne Miss Mend (Boris Barnet et Fedor Ozep, URSS, 1928) tente de contrer une attaque bactériologique menée par des chefs d'entreprise occidentaux contre l’URSS. C’est un personnage également soumis à des conflits intérieurs, à l’image de la journaliste idéaliste interprétée par Asta Nielsen dans Nach dem Gesetz qui va jusqu’à commettre l’irréparable pour soutenir une cause noble, ou le conducteur de rotative de The Last Edition prêt à tout pour sauver l’honneur de son fils et de son journal. Ce film, tourné à San Francisco, a par ailleurs la singularité de montrer précisément et merveilleusement le processus de fabrication d’un journal au sein du San Francisco Chronicle.
Bon nombre de cinéastes ont exercé le métier de journaliste. Pour exemple, cette programmation réunit Edward H. Griffith, réalisateur de Atta Boy avec Monty Banks, Billy Wilder, scénariste de Der Teufelsreporter de Ernst Laemmle (et qui réalisera bien d’autres films sur le journalisme), ou encore Carl Th. Dreyer qui apparaît furtivement dans Dr Cooks Ankomst. Les métiers sont analogues, journalistes et cinéastes développent tous deux des récits qui offrent au lecteur ou au spectateur la possibilité de pénétrer des univers inaccessibles, de ressentir et de déchiffrer le monde.
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Toutes les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (Conservatoire National Supérieur de Musique et de Danse de Paris).