Du 30 janvier au 22 février 2019, la Fondation Jérôme Seydoux-Pathé propose une nouvelle exploration du cinéma muet européen et américain, autour de l’art de voyager dans le temps. Procédés techniques et formels, trucs et effets spéciaux, animation ou prise de vue réelle, le cinéma découvre et élabore sa souplesse narrative et la mobilité temporelle qu’elle permet. Reconstituer le passé avec précision ou fantaisie, anticiper un avenir plus ou moins imaginaire, reparcourir l’évolution et les métamorphoses du monde et des hommes à travers les âges, confronter les époques et les civilisations : ce sont toutes ses facettes du voyage dans le temps que fait miroiter cette programmation thématique.
Par les différents jeux du ruban pelliculaire, le cinéma s’essaye à dévider le temps en accéléré ou au ralenti, tel Onésime horloger qui nous fait traverser vingt ans en quelques mètres de projection. Art élastique, le cinéma exprime tour à tour la simultanéité et l’alternance, l’antériorité et la rétrospection, l’anticipation et la projection. Ainsi se multiplient dans le cinéma muet les visions, celles de Cagliostro ou d’André Chénier par exemple, ces images du passé ou de l’avenir qui viennent troubler la linéarité temporelle et inventent ce qu’on appelle peu à peu le flash-back. Le voyage dans le temps n’a pas seulement trait à l’action, mais concerne également les activités de l’esprit : les pensées, les souvenirs, les espoirs, les rêves, l’imagination. Il peut être intérieur, comme le propose Louis Delluc dans son court-métrage de 1920, Le Silence. L’exploration du temps révèle une certaine conception de la mémoire en pleine mutation en ce début de siècle. On interroge intensément la psyché moderne, on convoque encore le spiritisme et l’occultisme, la métempsycose et la résurrection (Arrival from Darkness de J. Kolár, dont la copie des Archives du film de Prague est projetée pour la première fois en France), les traumatismes et les bouleversements de la guerre reconfigurent une mémoire brisée, lacunaire et en quête de récit (sur le mode comique dans A Modern Musketeer d’Allan Dwan, complétant l’épopée américaine par un aller-retour subtil entre la France des mousquetaires et les Etats-Unis de Douglas Fairbanks !).
Le cinéma muet se confronte aux différentes pratiques de l’écriture de l’Histoire et déploie un spectacle qui délaisse parfois la seule reconstitution d’une époque pour embrasser les siècles et les civilisations. « A travers les âges », le cinéma écrit l’histoire des individus, des familles, des peuples, mais aussi de la mode ! Emile Cohl s’est particulièrement essayé à cette « histoire de… » à travers les âges, comme en témoignent Eventail animé, En route, Les Chapeaux des belles dames ou Histoire de chapeaux. Le spectateur se plaît alors à suivre d’époque en époque les évolutions et les métamorphoses, les jeux d’échos, de répétitions et de recommencements.
Tournés vers des modèles historiques (voire préhistoriques !), bibliques (Samson und Delila, A. Korda) ou antiques (l’Egypte de Made for Love, P. Sloane), certains films mettent en œuvre un véritable Spectacle des Siècles moins linéaire que tournoyant et tumultueux, dont Intolerance de D.W. Griffith reste à ce jour l’expérimentation la plus marquante, à voir et à revoir.
Marion Polirsztok
Docteure en esthétique et histoire du cinéma, spécialiste du cinéma muet américain
Toutes les séances sont accompagnées par les pianistes issus de la classe d'improvisation de Jean-François Zygel (CNSMDP).